Allergie aux isolats et hydrolysats de farine de blé

D A Moneret-Vautrin 

Université de Lorraine-Nancy
Réseau Allergo-Vigilance®

Depuis le premier cas d’allergie aux isolats de farine de blé que nous avons décrit en 2003 (1), les cas se sont multipliés en France. Le diagnostic peut être posé grâce à un extrait pour test allergique cutané (ALK-Allerbio). Les allergies aux hydrolysats de protéines de blé sont venues compliquer la situation.

De quoi s’agit-il ?

Les isolats sont des ingrédients fabriqués à partir de farine de blé. Et plus exactement du gluten. Par procédé chimique (traitement à pH acide) ou enzymatique, le gluten est déamidé. Il se produit également un certain degré d’hydrolyse. Le produit devient alors hydrosoluble et acquiert d’intéressantes propriétés qui en permettent l’usage dans de multiples produits alimentaires. Les industriels préparent également des hydrolysats de blé, très proches, qui sont de petits peptides issus du gluten et des autres protéines de blé, utilisés dans les cosmétiques. 

Que se passe t-il ?

Les procédés de fabrication des isolats créent de nouveaux allergènes, ou plus exactement : de nouveaux épitopes, qui sont de courtes séquences d’acides aminés responsables de la création d’anticorps allergiques (2). Certains patients s’y sensibilisent… et présentent donc une allergie alimentaire primaire aux isolats. Dans le même temps, ils tolèrent parfaitement la farine de blé naturelle et donc tous les produits en contenant. Ils peuvent additionner une allergie de contact aux hydrolysats des cosmétiques !

Mais inversément : des cas d’anaphylaxie alimentaire au blé survenant à l’effort ont été décrits dès 2006 chez des patients qui utilisaient depuis un certain temps un savon contenant des hydrolysats. Ils avaient du reste constaté des manifestations au contact du savon (3). Les auteurs (japonais) ont pu prouver que ces hydrolysats dans le savon avaient bien été l’agent primaire de sensibilisation, quoique les patients se révèlent de surcroit très sensibilisés au gluten et aux autres protéines de blé. La sensibilisation par voie cutanée a ensuite été confirmée dans un modèle animal (4). L’allergie alimentaire aux isolats mais aussi à la farine de blé naturelle est alors secondaire à la sensibilisation cutanée ! 

Quels sont les symptômes ?

Ce sont ceux de toute allergie alimentaire : essentiellement urticaire, angioedème (œdème de Quincke), voire asthme, anaphylaxie, anaphylaxie induite par l’effort, troubles digestifs aigus (douleurs abdominales et diarrhées plutôt que vomissements). 

Comment la diagnostiquer ? 

Les allergologues soupçonnent une allergie spécifique aux isolats sur un faisceau de constatations :

1. Des accidents allergiques, immédiats, pouvant aller jusqu’au choc anaphylactique, manifestement en relation chronologique avec l’ingestion d’aliments dont la nature attire l’attention : jambon reconstitué (aspect rectangulaire, sans couenne…), dinde ou poulet reconstitués (sous forme de sandwichs, escalopes de dinde Cordon bleu…), pâtés en croûte industriels, saucisses (l’isolat est mélangé à la viande proprement dite), sauces de plats industriels….Cette liste n’est pas limitative. On prête attention à l’étiquetage quand il est écrit  « protéines de blé » ou même « gluten ».

2. L’allergologue peut constater dans certains cas que les patients ont présenté de l’urticaire ou un œdème de Quincke à l’application de certains cosmétiques contenant des produits très proches qui sont les hydrolysats de protéines de blé (mascara, crèmes de soins, etc…) (3).

3. S’il y a eu réaction allergique à l’un des aliments précités, l’allergologue fait des tests cutanés à la recherche d’une sensibilisation. Les prick-tests sont négatifs aux viandes naturelles de porc, poulet, dinde, mais les prick tests réalistes sont positifs aux aliments concernés eux-mêmes : viandes des sandwichs, escalopes que le patient a apportés…. On peut aussi tester le cosmétique contenant l’hydrolysat de blé.

4. La preuve est apportée par les prick-tests : négatifs ou douteux à l’extrait commercial (hydrosoluble) de farine de blé, à l’extrait commercial gluten, mais très positifs à l’extrait isolats de blé (Laboratoire Allerbio), ou à des isolats d’origine industrielle (mais tous les allergologues n’en disposent pas).

5. Une confirmation supplémentaire est apportée par des tests de laboratoire (faits à titre de recherche seulement dans quelques laboratoires français). Ils montrent la présence d’anticorps allergiques (IgE spécifiques) à l’isolat, alors qu’il n’y a pas d’IgE spécifiques à la farine de blé ou au gluten.

Il existe aussi un risque chez certains patients très allergiques au gluten qu’ils réagissent encore plus au gluten déamidé, sans doute parce que l’aliment modifié apporte une forte quantité de gluten et que le sujet est sensibilisé à la fois aux épitopes du gluten naturel (qu’il retrouve dans le gluten déamidé) et aux néo-épitopes de ce dernier.

Pour résumer, voici les différents cas de figure :

Allergie à farine de blé naturelle : isolats et hydrolysats tolérés. 
Allergie aux isolats (et parfois hydrolysats) : farine de blé naturelle bien tolérée mais situation potentiellement instable, risque d’extension de l’allergie à la farine de blé naturelle.  
Allergie à farine de blé et aux isolats de blé :isque d’allergie aux hydrolysats.

Le diagnostic d’allergie aux isolats de blé étant posé, quelle conduite tenir ?

Elle est délicate. Les industriels sont en conformité avec la loi quand ils déclarent : protéines de blé (l’étiquetage est obligatoire) mais on ne sait pas s’il s’agit de farine de blé naturelle ou d’isolat. De même si l’étiquette porte la mention : gluten, est-ce le gluten naturel ou bien un gluten modifié ?

Le sujet allergique n’a aucun moyen de savoir si le produit contient un isolat !
En l’absence d’information, les recommandations d’éviction risquent d’être abusivement larges !

Il n’existe pas actuellement d’étiquetage spécifique pour les isolats de blé.
En conséquence, la liste communiquée repose sur l’empirisme.

Il faudra éviter par prudence:

- jambons reconstitués
- viandes reconstituées (dinde, poulet, porc),
- sandwichs commerciaux
- produits de type escalope de dinde Cordon Bleu
- pâtés en croûte
- saucisses
- sauces diverses
- viennoiseries
- certaines pâtes alimentaires...

 

Les conseils que l'on peut donner aux patients concernés sont simples, en théorie du moins : il faut apprendre à lire les étiquettes, non seulement des aliments mais également de tous les produits d’hygiène et cosmétiques ! Limiter la consommation de pain au pain courant, et consulter au besoin un allergologue averti des complexités des allergies aux produits issus du blé !

 

1. Leduc V., Moneret-Vautrin D. A., et al. Anaphylaxis to wheat isolates: Immunochemical study of a case proved by means of double-blind, placebo-controlled food challenge. J Allergy Clin Immunol 2003;111:897-9.

2. Denery-Papini S., Bodinier M., et al. Allergy to deamidated gluten in patients tolerant to wheat: specific epitopes linked to deamidation. Allergy 2012 ; 67: 1023-32.

3. Lauriere M., Pecquet C., et al. Hydrolysed wheat proteins present in cosmetics can induce immediate hypersensitivities. Contact Dermatitis 2006 ; 54: 283-9.

4. Fukutomi Y., Itagaki Y., et al. Rhinoconjunctival sensitization to hydrolyzed wheat protein in facial soap can induce wheat-dependent exercise-induced anaphylaxis. J Allergy Clin Immunoln 2011 ; 127: 531-533 e1-3

5. Adachi R., Nakamura R., et al. Sensitization to acid-hydrolyzed wheat protein by transdermal administration to BALB/c mice, and comparison with gluten. Allergy 2012; 67: 1392-9